Interview: Marie-Irène Richmond-Ahoua, avocate de la polio
juin. 13, 2018
Marie-Irène Richmond-Ahoua est consultante internationale en communication et membre du Rotary club d’Abidjan-Biétry en Côte d’Ivoire. Elle a occupé différents postes haut placés au Rotary. Elle a notamment dirigé d’innombrables efforts de vaccination sur le terrain et servi en tant que conseillère auprès de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Nous l’avons rencontrée avant qu’elle ne participe au panel sur l’éradication de la polio composé exclusivement de femmes et prévu à la prochaine convention du Rotary International à Toronto le 25 juin 2018.
Comment vous êtes-vous impliquée pour la première fois dans les efforts d’éradication de la
polio ?
En Côte d’Ivoire, c’est bien en 1987 que les Rotariens ont entrepris de vacciner contre les cinq maladies infantiles, dont la polio. Cette action s’inscrivait dans le cadre de la grande Campagne nationale de Vaccination initiée par le ministère de la Santé et les Rotariens y ont pris une part très active. L’appui du Rotary au gouvernement ivoirien comprenait l’équipement de la chaîne du froid, l’achat et la fourniture du carburant pour le transport des vaccins, la formation du personnel, et la collation des vaccinateurs. À cette époque, j’étais membre du club Rotaract d’Abidjan et c’est avec bonheur et enthousiasme que j’ai participé à cette campagne.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vouer une passion à l’objectif d’éradication de la polio ?
Dans mon pays, j’avais l’habitude de voir des enfants se traîner à quatre pattes, incapables de marcher. Je me posais alors la question de savoir « Comment l’Afrique pouvait–elle se développer avec ces enfants – l’avenir de l’Afrique – qui ne pouvaient marcher ? » Pour moi, il fallait agir au plus vite ! Je ne savais vraiment pas comment, mais ce qui importait, c’était de changer leurs vies. J’ai été séduite par les actions que les Rotariens entreprenaient dans mon pays. En outre, je pense sincèrement qu’être utile et servir humblement procurent une satisfaction morale inestimable.
Vous étiez parmi les premières femmes dirigeantes au Rotary à vous investir dans l’éradication de la polio en Afrique. Dites-nous comment vous avez travaillé avec d’autres femmes à défendre cette cause.
Les femmes ont pendant longtemps été considérées comme de simples bénéficiaires. De plus en plus, le rôle des femmes est reconnu, quoique peu visible. Elles restent une source insuffisamment utilisée et pourtant elles jouent un rôle décisif, car ce sont elles qui ont en charge leurs enfants la plupart du temps et qui les présentent aux vaccinateurs. Ce sont elles aussi qui peuvent les cacher ou fuir avec eux dans les marchés ou dans les champs. Dès lors, il est apparu judicieux de les associer pleinement à la mobilisation sociale et pendant les Journées nationales de Vaccination. Nos partenaires représentent : les Fédérations d’associations féminines, tous les groupements de femmes issues des villes et villages, des femmes issues des ONG œuvrant dans le domaine de la santé, les associations d’infirmières et de sages-femmes, des femmes exerçant dans le domaine du vivrier, vendeuses et commerçantes sur les marchés. Elles ont conscience qu’en faisant vacciner leurs enfants, elles leur assurent un avenir de santé, grâce au Rotary et à ses partenaires.
Que répondez-vous à ceux qui prétendent que l’éradication de la polio est trop chère ou impossible ?
Nous croyons vraiment en ce que nous entreprenons. Et je voudrais vous inviter à partager la conviction qui anime tous les acteurs de cette guerre que nous menons contre la polio, avec une armée de bénévoles et ces deux petites gouttes, comme notre arme. Toutes les conditions pour gagner ce combat sont pratiquement réunies : un vaccin efficace, une stratégie du porte-à-porte éprouvée, un bon niveau de surveillance, les ressources humaines et les ressources financières que nous avons le devoir de rassembler. Rien n’est trop cher pour la santé de nos enfants ! Nous avons la ferme conviction que la polio sera la seconde maladie éradiquée de cette planète après la variole en 1980. Nous, Africains, ne savons que trop bien que, comme d’autres problèmes urgents constituent une priorité, nous sommes cependant déterminés à en finir avec la polio une fois pour toutes, car si nous n’atteignons pas notre objectif dans les trois prochaines années, il subsiste une menace réelle de faire face à une résurgence encore plus forte de la polio. L’éradication n’est donc pas une option, mais bien une obligation. Nous n’avons jamais été si près du but. L’incidence de la polio a été réduite de 99,9 pour cent dans le monde. Il apparaît essentiel d’expliquer aux parents et populations que comme en athlétisme, c’est le sprint final qui constitue le moment le plus redoutable du relais tant il est vrai que maintenir l’élan pour lutter contre une maladie s’avère plus difficile.
Quels sont les obstacles qui restent à surmonter ?
D’autres défis comme le déficit financier, l’inaccessibilité de certains enfants vivant dans des zones très reculées ou sur des îles, le manque de volonté politique ou les conflits civils. Dans les pays d’endémie, la priorité est d’accéder à tous les enfants, quel que soit leur lieu d’habitation et leur statut vaccinal antérieur et les vacciner. Un monde sans polio, notre vieux rêve, est en passe d’être réalisé.